Note d’intention


Objets d'art non identifiés, les enveloppements recèlent des "pierres" ramassées lors de voyages, des objets symboliques qui re-scellent une émotion, un instant, une pensée.

“Qu'est-ce que la nostalgie sinon une mélancolie humaine rendue possible par la conscience de quelque chose d'autre, d'un ailleurs, d'un contraste entre passé et présent ? Et cette nostalgie n'est-elle pas aussi provoquée essentiellement par l'irréversibilité du temps ? Car on ne saurait remonter le cours du temps, tel est l'obstacle insurmontable qu'il oppose à nos entreprises.

L’irréversibilité et la nostalgie,

Vladimir Jankélévitch

“Il faut bien qu’il existe un terrain commun à l’artiste et au profane, un point de rencontre d’où l’artiste n’apparaisse plus fatalement comme un cas de marge, mais comme votre semblable, jeté sans être consulté dans un monde multiforme et comme vous obligé de s’y retrouver tant bien que mal.“

Paul Klee

CHRYSALIDE, tissu, divers, 50 x 20 x 20 cm, 1994, (collection privée)


L’ŒUF EST DANS L’OISEAU

L’OISEAU EST DANS L’ŒUF


Encouragé par un ami, je vais déposer une peinture au salon de Vitry sur Seine. On était plus de 200 à concourir.

Sur place, la cohue, la queue, le formulaire à remplir, le coup de tampon, le numéro d’attribution ...


j’avançais à reculons, tout semblait joué d’avance.


Finalement je pris une bonne heure pour déballer ma toile : scotch, papier bulle, cale de polystyrène, ficelle, tissu, etc... Avec cette dépouille je formais un objet nouveau, inattendu en trois dimensions, énigmatique .


En arrivant au comptoir d’enregistrement des œuvres, je ne savais plus laquelle déposer...





CHARDON ET VALIUM OU LA MOISISSURE DE L’ORANGE, tissu, chardon, Valium ®, orange stabilisée, 40 x 16 x 7 cm, 1996, collection privée



JE VOUS AI SUIVI

PARCE QUE VOUS VOUS DÉPLACEZ

SANS FAIRE AUCUN BRUIT


Un ami artiste exposait dans une galerie de la rue Keller, Paris 11ème.


En regard de l’accrochage mural de ses œuvres qui dura quelques semaines, il scotcha directement au sol à l’aide d’un solide ruban adhésif Gaffer ® noir des guillemets dessinant une ligne oblique purement graphique qui traversait de part en part l’espace entier de la galerie en une diagonale tracée entre deux points où étaient simplement posés au sol un chardon et un cachet de Valium ® d’une part, et une orange moisie d’autre part.


Interpellé, fasciné, j’ai voulu conserver la mémoire de ce geste poétique, attraper au filet la substantifique moelle de la “Vie insoutenable et légère“, envelopper l’œuvre éphémère.

SANS TITRE (HOUSSE), tissu, bleu de travail, cintre, talc, 130 x 70 cm, 1996



UNE JOURNÉE QUE NOUS

NE PASSONS PAS ENSEMBLE

EST UNE JOURNÉE INCOMPLÈTE


Lorsque je terminais cette pièce je pensais à mon grand-père paternel, à mon père, à ma mère.


À l’intérieur de cette housse se trouve un vêtement : un bleu de travail . En achetant cette combinaison, des souvenirs transmis par mon père refirent surface.


À son arrivée en France en 1923, mon grand-père fût ouvrier chez Schneider et Cie au Creusot, alors plaque tournante industrielle de la sidérurgie française.


En effet, après 1918 on embauchait.


La fin de la guerre imposait une reconversion massive vers les activités civiles, facilitée par un rebond des commandes de locomotives à vapeur et électriques (jusqu’à 25 par mois) et le développement rapide des activités de constructions électriques. Mais la crise des années 1930 n’épargne pas la Société privée des commandes étrangères d’armement et laissera un souvenir amer de licenciements massifs dans la mémoire collective des Creusotins.


Le retour de cette activité dans le giron de la Société en 1939 fut trop tardif pour avoir un impact réel sur le cours du conflit qui s’annonçait. Mon grand-père dut se reconvertir rapidement, devenant forain dans le commerce de linge des Vosges.


Après guerre, les Trente Glorieuses porteuses de changement économique et social, voient un réel essor dans les année 1950. Mais c’est sans dire l’acharnement au travail dont je fus témoin. Après son apprentissage sur les marchés, mon père ouvre un magasin de Prêt-à-porter féminin. Avec le soutien déterminé de ma mère, ils apportèrent l’élégance dans leur ville.


Il n’y eut pas un lundi sans que l’un, l’autre ou les deux parents ne se rendent à Paris pour la journée, à l’affût de la dernière nouveauté. Avec mon frère nous guettions leur retour à la maison par le dernier train. Je vois encore la porte d’entrée de la maison s’ouvrir tard dans la soirée. Alors, commençait la cérémonie d’ouverture des housses contenant les trésors dénichés chez les fabricants qui sont désormais des icônes de la mode.


Mon père et ma mère ont été des découvreurs, des passionnés et des créateurs d’émotion.


En réalisant cette pièce, j’ai voulu conserver cette mémoire du travail accompli, capturer dans une housse symbolique la vibration de cette passion qui les animait tant .

LE CERCLE DE CORDOUE, tissu, bois, pierres, Ø 96 cm, 1995



IL Y A LE DESTIN,

ET CE QUI NE TREMBLE PAS EN LUI

N’EST PAS SOLIDE


Lorsque j’ai fait ce voyage pour faire ma toute première exposition à Cordoue (Espagne), je ne pensais pas accomplir une boucle généalogique de cinq siècles !


Mes ancêtres ont quitté l’Andalousie vers 1492, et parlent de génération en génération depuis le quinzième siècle un espagnol métissé que l’on appelle le Ladino .


Chassés précipitamment par les inquisiteurs, on raconte qu’ils n’emportèrent uniquement que la clef de leur maison ; cette clef fut l’objet de quelque mythe, surtout à Cordoue et dans la région, par sa qualité de symbole.


La grande Cordoue de l’époque était considérée comme le Cercle du savoir de toute l’Europe. La toute première bibliothèque irradiait, rayonnait, attirait. Nombre de penseurs, philosophes et érudits de tous horizons s’y retrouvaient pour deviser sous l’impulsion de Moïse  ben Maïmon connu sous le nom de Maïmonide, le grand philosophe à l’origine de la première université Européenne.

Les trois grandes religions monothéistes y vivaient depuis le XIII ème siècle dans un échange et une harmonie rarement égalés, l’étude et la connaissance étant la CLEF de voûte de l’édifice.


La clef, toujours la clef ...


Après deux jours de route nous arrivons à Cordoba (Cordoue) où Maïté Bejar, notre hôte et galeriste, nous reçoit le soir dans la parfaite tradition andalouse autour d’une grande tablée.


Tapas, vino verde, la discussion monte parmi les nombreux et joyeux convives à la Taberna de la Verdad (Taverne de la Vérité).


Mon voisin de table, un élégant antiquaire passionné, m’interpelle sur ma manière de parler et de prononcer certains mots de ce vieil espagnol que j’ai reçu de mes parents .


il me demande alors si par miracle ma famille avait réussi à conserver précieusement la fameuse antique clef. Aussi, il ajouta jovialement qu’un tel objet représentait, un vieux rêve d’antiquaire.


  1. -“Oui, par chance nous avons pu garder cette clef mais je ne puis vous la montrer. Mais je peux vous la faire entendre ; mes parents l’ont parlé, ma mère me l’a chanté ; cette  petite clef ciselée par le temps ouvre une valise pleine d’histoires, de contes et de mots ronds qui ont bercés mon enfance.”


Le lendemain, je vais rendre visite à mon ami antiquaire avec qui j’avais passé la soirée de la veille à trinquer, et comme le disait-il : « À mon retour ! »


En chemin, je me perds dans le vieux quartier de la Juderia. On me renseigne en m’indiquant un serrurier où je pourrais redemander mon chemin. Je finis par trouver ce serrurier dans le dédale charmant de petites rues étroites. En entrant dans l’échoppe aux murs tapissés de clefs de toutes tailles, je ne résiste pas à lui dire maladroitement dans mon vieil espagnol que je veux en acheter une.


Il me demande alors, plutôt grincheux, de lui donner l’original afin qu’il puisse en faire le double.


Je ne cède pas à son humeur revêche et déclare en souriant :

  1. -Ahah ! oui, je comprends mais voyez-vous, cette clef a malheureusement été perdue il y a bien bien longtemps...


D’un coup bref du menton, il m’indique un présentoir sur le comptoir :

  1. - Dans ce cas, choisis de ce côté ci...


Je remarque aussitôt une petite clef qui n’aurait visiblement pas pu ouvrir une porte, mais bon elle est vraiment très jolie.

Il sort aussi sec une minuscule pochette en papier pour y glisser la clef ; je l’arrête net, m’expliquant plus par gestes que par les mots qui me manquent alors cruellement :


  1. -Euh, pouvez-vous faire quelques encoches ..? Comme ça j’aurai l’impression qu’elle peut malgré tout ouvrir quelque chose...Hum...Por favor...


Le Serrurier me dévisage intensément. Ils semble réfléchir. Il tourne rapidement les talons et va sur sa machine ciseler le panneton de ma petite clef.

Hop et hop, en deux tours de main c’est fait ! Il revient vers moi, plaque la clef sur le comptoir et me dit avec un large sourire :


  1. -Le dirás a tu madre que es un regalo de  Vicente ! (Tu diras à ta mère que c’est un cadeau de Vicente !)


Plus loin, plus tard, je découvre une vieille maison en ruine dévorée par un jardin à l’abandon dont j’escalade le mur.

Au loin, me parviennent des chants d’hommes... Ça doit venir de l’unique petite synagogue du quartier sauvée par delà les âges désormais réhabilitée en musée que j’avais visitée une heure auparavant... Bercé, je me laisse glisser dans la machine à remonter le temps, envoûté par cette maison au charme fou qui a pour l’instant réussi à échapper à la politique culturelle de restauration de la Ville. Alors que la lumière du jour commence à décliner je m’extirpe de ma torpeur et me résous à ré-escalader le mur du jardin, après avoir bourré de pierres ma sacoche et les poches de ma veste.


De retour à Paris, à l’atelier, je réunis les pierres et les assemble sur un cintre circulaire en bois. La boucle était bouclée.

LE CERCLE DU SINAÏ, tissu, bois, pierres, Ø 110 cm, 1995



IL FAUT METTRE DE LA PROFONDEUR DANS CHAQUE MINUTE, CHAQUE SECONDE SINON TOUT EST RÂPÉ POUR L’ÉTERNITÉ


Lorsque cette année là, je prends l’avion, je ne pense pas que mon voyage pourrait aboutir et prendre tout son sens dans le désert du Sinaï (Egypte).


Je suis parti dans le désert pour guider la mémoire de mon père à la croisée des chemins tourmentés. Mes pas m’ont guidé vers le sud, j’ai cherché des réponses avec des pinceaux, de la toile et des pigments...


Le premier désert rencontré, ne me renvoie qu’un vent de solitude continu et plaintif malgré l’abondance des couleurs que je lance violemment sur la toile.


Puis je pousse jusqu’en Egypte où je me réconcilie enfin avec les éléments. La rencontre avec le petit peuple des Bédoins depuis le cratère de couleur au nord de la péninsule jusqu’à Djebel Moussa (mont Moïse) souvent appelé mont Sinaï, plus au sud, est initiatique.


Il est presque midi lorsque mes amis Bédoins et moi lâchons le petit groupe de Suisses qui nous accompagnent, désireux de rester à déjeuner et de faire halte près du monastère Sainte Catherine riche en icônes . Juste en face, un petit mont, plus modeste en taille, offre le luxe d’une nature intacte et boudée par les touristes .


Seuls les Bédoins viennent s’y poser en attendant la reprise en milieu d’après midi. Je les suis, perdu dans mes pensées. Nous arrivons tranquillement au sommet. Le pique-nique s’organise : les petites boules de farine claquées sur la roche plate deviennent rapidement des galettes de pain cuites à même le sol d’un brasier improvisé .


Message, réponse, prière, signe ?

Je constitue un petit tertre de pierres face à l’immense paysage d’un rouge intense...


J’apprends plus tard que ce petit mont, Djebel Harun, le Mont Aaron, porte le prénom de mon père.


De retour à Paris, à l’atelier, j’enveloppe rituellement autour d’un cerceau en bois quelques pierres ramenées de là-bas.

MÉZOUZA, tissu, parchemin, écrits, 18 x 3,5 cm, 1994, (coll. part. France)



CHAQUE INSTANT EST UN DANGER

POUVEZ-VOUS BAISSER LA VOIX


La Mézouza est un petit rouleau de parchemin calligraphié à la main. Le  texte contient la formulation d’un message-prière de bénédiction de la maison.


Dans la tradition juive, il est rituellement placé en biais sur le linteau de la porte d’entrée de la maison familiale.


Chez mes parents il était fixé à l’entrée de la chambre à coucher où nous dormions tous les quatre, mon père, ma mère, mon frère et moi.


Avant d’aller au lit, ma mère me portait vers mon père ; elle  me portait ensuite vers la Mézouza dont le son du mot m’évoquait une fée gracieuse et protectrice qui ressemblait étrangement à ma mère.

MAMAN PAPA DANS LA SALLE DE BAIN, diptyque,  bombe L’Oreal Paris Elnett Satin Laque 28,5 x Ø5,5 cm, vaporisateur Williams Aqua Velva lotion après rasage 16 x 8 x 3 cm,  tissu, 1996, (collection privée)



AINSI, TOUJOURS EN NOUS, COMME UN FEU OUBLIÉ, UNE ENFANCE PEUT REPRENDRE. (GASTON BACHELARD)


Alors que je traversai rapidement le rayon parfumerie des Galeries Lafayette, je ne m’attendais pas à être aspiré par le tunnel de la machine à remonter le temps.

L'union d'un nuage de laque pour cheveux à une effluve d'eau de toilette après rasage me transportèrent par le bout du nez en 1968, à 7h30 du matin, l'heure de partir pour l'école.

Et je retrouvais instantanément maman et papa côte à côte dans la salle de bain, face à l’armoire à glace en train de se parfumer.

SANS TITRE, tissu, squelette membre inférieur (substitut), échelle 1/1, dimensions variables, 2004




Est-ce que vous pensez

que vous supporteriez votre vie

s’il n’y avait pas la mort au bout ?


Ne vous retournez jamais sur votre passé, car la mort n’est bien souvent que

la victoire glorieuse des chagrins d’enfance.

CRAYON MAJUSCULE, film étirable, divers matériaux, 1750 x 5 x 5 cm, 1999, Paris.


Enveloppement réalisé à partir des chutes du mailing Un matin du monde* de la Galerie Eric Dupont, représentant environ 1455 envois :


  1. -1423 bandelettes détachables pour

   enveloppes auto adhésives

- 7 enveloppes auto adhésives

- 24 enveloppes manuscrites déchirées

- 1 enveloppe manuscrite, scellée 

- 1 sac en plastique Prisunic ®

  1. -1 emballage d’origine déchiré des

   paquets d’enveloppes

- 1 programme Un matin du monde

- 9 bracelets caoutchouc

- 1 post-it manuscrit

- 1 crayon à papier HB Majuscule ®


*Un matin du monde : du 2 au 26 Février 1999,

Galerie Eric Dupont 13 rue Chapon 75003 Paris


le 20 janvier 1999 à Paris, France.


À LA VEILLE D’UN MATIN DU MONDE


Alors que je fais le tour des galeries, je passe par la rue Chapon, Paris 3ème, en fin d’après-midi. Je stoppe net devant la Galerie Éric Dupont.


Depuis la rue, on peut assister par la vitrine de la galerie à une performance, un happening, une installation ... ?


En plein milieu de l’espace, aux murs blancs et nus, est planté un bureau, envahi par des piles de papiers, d’enveloppes et de bristols disposés dans un désordre organisé... 


Le sol est jonché de petits tortillons blancs. En y regardant de plus près, il s’agit de bandelettes de papier en forme de serpentins ...


La lumière irradie cette fine chevelure d’une blancheur translucide et ondulante dans un léger courant d’air...


Aux quatre coins de l’espace, des personnes de dos, assises au sol, alimentent cette écume de papier en rejetant rapidement sur leurs côtés des bandelettes qui s’accumulent au sol.


Magnétisé par cette vision, je m’appuie, le nez collé à la porte vitrée qui s’ouvre sans crier gare, provoquant un courant d’air qui soulève la masse blanche des bandelettes comme une vague d’écume. Je ne décolle pas les yeux de cette mer poétique.


Un homme vient prestement à ma rencontre ; en traversant la masse de bandelettes il provoque un soulèvement de la vague aérienne de ces bandes de papier... déclarant que la Galerie est fermée.

je ne décolle pas les yeux du sol.


Je mets un peu de temps à réaliser qu’en fait, cette installation n’en est pas une mais banalement le fruit d’une opération de mailing, et cette magique chevelure d’ange qui frémit au moindre mouvement au sol n’est en fait que le rebut constitué par des bandelettes auto-adhésives issues d’enveloppes.


  1. -Tout est art, dis-je.

J’ajoute cette phrase de Marcel Proust qui me vient à l’esprit :

- “Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.“


Visiblement, je dérange ; en effet ce n’est pas vraiment le moment mais je n’arrive pas à décoller mes yeux de la vision et je reste figé tandis que les assistants continuent, impavides, le mailing.


Eric Dupont me dit que l’exposition s’appellera “Un matin du monde” .

Je réponds que c’est un beau titre en restant les yeux rivés sur les bandelettes. Contraint à m’extraire de la vision, je demande machinalement combien cela représente d’envoi.


Eric Dupont me réponds avec assurance :

- Dans les 1450

Puis il s’empare d’un balai, réunit avec énergie les bandelettes jonchées au sol qui roulent légèrement et semblent vouloir s’enfuir à son approche. Il jette enfin le tout dans un sac Prisunic en plastique et murmure pour lui-même en profiter pour vider sa corbeille de bureau.


Les bandelettes disparaissent, j’en saisis une.  Eric Dupont me demande si je veux récupérer le tout et sans attendre ma réponse me tend le sac.


Je quitte la galerie et rentre chez moi avec le sac Prisunic bourré de bandelettes...

Aussitôt arrivé à l’atelier, je déverse rapidement le sac au sol mais ce que je craignais est arrivé. Les bandelettes sont irrémédiablement froissées et la magie n’opère plus. La vision s’est volatilisée dans l’instant.


Dépité, je remarque un crayon à papier tout neuf, de marque Majuscule, tombé à coup sûr par erreur dans la corbeille de la galerie au beau milieu du papier froissé ou déchiré. Cela redonne du sens à une nouvelle vision :


Qu’est-ce qu’on garde, qu’est-ce qu’on jette ?


Objet et langage, objet du langage... Je repense à la réponse d’Éric Dupont :

- Dans les 1450...

Je décide alors de faire l’inventaire de ce fond de corbeille guidé par le crayon Majuscule.


Décliner la grammaire des épluchures...


Lentement, un objet prend forme, branche devenant flèche, puis lance et javelot au bout duquel un crayon perdu inscrirait peut-être la mémoire d’un matin du monde.

CHEMIN, terre sur toile collectée durant une marche de 46 jours reliant Tokyo à Hiroshima, Japon, 24 x Ø 36 cm, longueur 46 mètres, 1996, Japon (coll. part. France)


NE DEMANDE PAS TON CHEMIN À QUELQU’UN QUI LE CONNAIT SINON TU NE POURRAIS T’ÉGARER


PROJET : Sans identité, sans frontières, créer un lieu qui résonne, créer un lien humain

ACTION : Apprendre le japonais, marcher de Tokyo à Hiroshima, travailler en route.


En développant les armes nucléaires, l’Humanité se place au bord de l’extinction.

Aujourd’hui, dans un monde qui conserve encore des stocks immenses d’armes nucléaires, l’humanité doit user de tout son potentiel de sagesse collective pour annuler cette menace.


La conviction indélébile du caractère inacceptable des armes nucléaires doit donner naissance à un esprit constant et inébranlable de paix.


Il faut que nous réfléchissions avec esprit critique et sincérité à la guerre et au processus qui y conduit.


C’est aussi à travers une recherche active qu’il est possible de manifester et d’exprimer avec force la mission tendant à ce que les peuples dans le monde entier se donnent la main pour faire de la paix une réalité.


C’est cet esprit qui a guidé mes pas jusqu’à Hiroshima.


Guy Matchoro

le 1er mai 1996, Kyoto, Japon

En 1996, je pars au Japon pour participer à une grande manifestation regroupant artistes français et japonais dans le quartier historique de Kyoto :


"SANS IDENTITÉ SANS FRONTIÈRE, créer un lieu qui résonne, créer un lien humain" .


Comme je ne fais pas partie, à la base, de l'échange culturel je décide de m'y rendre par ses propres moyens. Mais après avoir échangé une toile contre un billet d'avion, au lieu d’arriver en mai pour le début du projet, j’atterris fin février à Tokyo.


Sur place je décide de rallier Kyoto en stop. Comme l’auto-stop ne marche pas, je finis par m’y rendre à pied.


Je me perds aux abords du mont Fuji pendant une tempête et rate la belle route qui passe par la côte Le Tokaido (la route de la mer de l'est), immortalisée par les fameuses estampes du peintre Hiroshige.


Je me retrouve alors en plein centre de Honshu, île principale de l'Archipel Nippone sur une route de haute montagne qui relie Kyoto par le centre ou Le Nakasendo, (le chemin du milieu).


Le moyen de ne pas avoir froid est de marcher à bonne allure. Peu à peu je suis identifié comme le marcheur et fais halte régulièrement dans les stations d'essence, les Gazoline Stations.


Avec mon sac à dos et mon sac de couchage, je deviens le katatsumuri, l’escargot et aussi le Français qui va à pied pendant les fameux essais nucléaires de Jacques Chirac dans le Pacifique.


C’est aussi pourquoi après une rencontre initiatique, je décide de continuer ma marche jusqu’à Hiroshima qui durera en tout 46 jours depuis Tokyo.


Tout le long du trajet, je compose une œuvre en attachant les uns aux autres les messages écrits par les personnes rencontrées en route qui tient à la fois du livre d'or et du lien humain (18 cm x 33 mètres).


Aussi, chemin faisant, je recueille régulièrement de la terre sur un rouleau de tissu emporté de France et constitue ainsi, par l'empreinte, le lieu qui résonne. (24 cm x 46 mètres).


Je deviens membre du Groupe d'artistes japonais Z+A lors de l'évènement dans le lycée désaffecté Risseï, qui rappelle à plus d'un titre l'aventure menée à P.S.1 - NY (Primer School One, New York).


L'évènement obtient un vif succès et certaines personnes croisées durant le voyage à pied, viennent à Kyoto pour voir l'œuvre terminée : Après avoir arpenté in situ les 46 mètres symboliques du Chemin déroulé pour l'occasion en diagonale dans la grande cour de l'école, ils se rendent ensuite dans le gymnase où sont dépliés et déployés les 33 mètres de messages du livre d'or.

Voir ENVELOPPEMENTSenveloppements.html