LA RÉALITÉ EST DANS LA FABRIQUE DU TABLEAU


QUI : Guy Matchoro est un artiste peintre plasticien autodidacte. il vit et travaille à Nevers où il a installé son atelier depuis l'été 2013. Il a pratiqué tour à tour ou simultanément un nombre d'esthétiques de l'art contemporain allant du réalisme jusqu'à l'abstraction.  Le rapport à un imaginaire tissé de mémoire, oriente le cours de ses recherches. Après un processus créatif nourri de rencontres et de collaborations artistiques, en particulier à Kyoto, Japon, où il a vécu pendant un certain temps, il focalise son travail vers la matérialité de la peinture.


QUOI : Les nouveaux modes de production de diffusion et de manipulation de l'image (iPhone, logiciels de traitement de l'image…) ont entièrement bouleversé notre vision, rendant notre rapport au réel sans cesse plus complexe et insaisissable. En effet, de tout temps les avancées scientifiques  ont eu une incidence majeure sur les formes de représentation. Dans la Florence du XVe siècle, la corrélation étroite existant entre l'invention de la perspective et les contextes politique et scientifique en est un exemple (D. Arasse - Histoires de peintures). C'est à l'instar de ces évolutions récentes que j'ai commencé une pratique picturale pensée sur la lumière engendrée par ces nouveaux paradigmes technologiques et basée à partir de ce qui est strictement physique et matériel dans la peinture.


J'ai toujours été fasciné par la matérialité de la peinture, par son côté tactile, sa tactilité, comment cette affinité est censée capable de transmettre finalement des sensations et des idées qui peuvent être très abstraites. Ma relation avec la peinture n'est plus du tout en terme de capture du monde réel en ce sens que je prends quelque chose dans le réel et je le mets dans la peinture ; c'est le tableau en lui-même qui est la réalité.

Quelle est la réalité du tableau ? c'est la réalité de l'acte de peindre qui vient s'y manifester ; je ne vais plus désormais chercher quelque chose ailleurs pour le nourrir ou pour le justifier.


OÙ : Ce sont les écrits sur l'art, les livres de peinture, les musées, les expositions qui m'ont guidé en tout premier lieu, mais plus encore c'est lors de voyages, que j'ai reçu des enseignements ; comme ce vieux maître dans un temple perdu au pied du Mont Fuji (Japon), une tribu de Bédouins philosophes dans le désert du Sinaï (Egypte) ou encore cette rencontre dans un camp de réfugiés à la frontière birmane (Thaïlande) avec des enfants affectés par les mines anti-personnelles…

Ainsi, par le développement de la pratique, sur la route ou à l'atelier, je me suis situé dans cette tradition moderne de l'abstraction non pas comme un choix stylistique mais plutôt comme une façon de se placer vis-à-vis du réel.


QUAND : Mon "métier" de peintre est fait d'instants.

Une série d’instants de vérité qui représentent en réalité la prise de risque de l’artiste. L’instant de vérité est "de vérité" quand il fixe irréversiblement quelque chose sur lequel on ne peut revenir : Un instant qu’on ne peut pas rejouer. Si le temps se ferme irréductiblement à notre incapacité de pouvoir rejouer, il nous ouvre dans le même temps une profondeur infinie à la liberté de produire du nouveau. La peinture confirme ce que le temps affirme en se servant autant de la vie quotidienne que des instants de vérité que sont les œuvres d’art. Un temps où la nostalgie emprise de mémoire laisse place et donne vie au consentement joyeux de l’avenir naissant.


POURQUOI : J'ai toujours pensé que l'abstraction paraissait plus près du réel ; en tout cas du réel tel que nous le vivons aujourd'hui qui est un réel complètement fragmenté et médiatisé… Et face à cette réalité et cette circulation des images, il me semblait que tout ce qui était important et fort dans la peinture n'apparaissait pas dans cette circulation des images, cette tactilité, cette présence physique qui a un rapport aussi bien à l'échelle qu'à l'opticalité de la peinture.


COMMENT : La peinture fait appel à une expérience particulière où le processus est un acte de recueillement. Le peintre est nourri de toute l'Histoire de la Peinture et les tableaux sont nourris de la peinture ; c'est comme s'il y avait une notion de continuité historique de la Peinture dans laquelle intervient l'histoire personnelle du peintre secrétée par autant d'informations, de sensations et d'émotions.

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" En Art et en Peinture comme en Musique, il ne s'agit pas de reproduire ou d'inventer des formes, mais de capter des forces. C'est par là même qu'aucun Art n'est figuratif. La célèbre formule de Klee " non pas rendre le visible, mais rendre visible " ne signifie pas autre chose. La tâche de la Peinture est définie comme la tentative de rendre visible des choses qui ne le sont pas." Gilles Deleuze, Francis Bacon : logique de la sensation.

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" L'Art est toujours plus abstrait qu'on imagine. La forme et la couleur parlent de forme et de couleur et tout s'arrête là." Oscar Wilde


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Guy Matchoro, janvier 2020